A ce poème de Djaffar Messaoudi, notre médecin de campagne, j’ai envie de rajouter la voix de ma mère pour que son message d’outre-tombe soit entendu. Il est des circonstances qui font les événements, et il est des opportunités qu’il faut saisir pour créer l’événement. Aussi, il m’est dicté de rendre un hommage posthume à ma mère pour dire tout simplement que nous ne l’avons pas oubliée. Je pense qu’elle aurait applaudi ce geste fait en sa mémoire, mais je pense surtout, que c’est ce qu’elle voulait dire en me demandant de lui procurer un magnétophone quelques jours avant qu’elle ne rende l’âme le 8 Septembre 2003. Ainsi, je me sens libéré de la plus petite tâche qui soit envers ma mère, car de son vivant je pense n’avoir rien omis en ce qui concerne le devoir qui s’impose envers une maman. A celles et ceux qui ont connu ma mère, je leur demande d’avoir une pensée pour elle.
Ma mère dans son ultime testament → lien ci-dessous
https://www.youtube.com/watch?v=3q66BFP4Avo
J'entends un air gai qui parvient de très loin, une voix aussi douce que le lait maternel. J’éprouve subitement l’envie et le besoin d’aller à la rencontre de ce sublime appel, c’est une douce chanson, une vielle mélodie que les mères de chez nous chantent à leurs enfants pour conjurer le sort et chasser le maudit. C’est un air ancestral qui parvient des tréfonds, il est toute la mémoire de ce peuple frondeur, c’est le lien qui unit tant de générations. C’est l’hymne maternel qui vient des profondeurs, il est notre mémoire contre la négation. Nous n’avons survécu que par l’oralité, le verbe se perpétue malgré les oppressions. Il est notre ombilic, notre maternité qui fait de nous un peuple parmi d’autres nations. Ma mère me l’a chanté quand j’étais au berceau, à mes enfants aussi mon épouse le chante. Ma fille qui l’a appris le chante de nouveau, c’est elle qui est l’école, c’est elle qui enfante. Mon histoire est si lourde je ne peux l’écrire, pourtant je la comprends à travers cette chanson. Les glaives qui à ce jour veulent nous faire périr, n’ont du noble acier que la contrefaçon. Je me souviens jadis quand j’allais à l’école, les maitres ont décidé de m’arracher ma langue, on m’en greffa une et la langue créole, puis on m’intima de clamer la harangue. Alors je me suis tu et j’ai fait l’ignorant, je ne pouvais cracher sur mes vieilles racines, je me suis mis à chanter avec mes enfants pour ne pas oublier nos réelles origines.
Par Djaffar Messaoudi (in ANALPHABET Nov. 1994)